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Dictionnaire de théorie politique

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Introduction

Lorsque l’on étudie la structure de l’État aujourd’hui, on cherche à répondre à deux questions au moins :
- quel est l’agencement territorial du pouvoir ?
- quel est l’agencement fonctionnel du pouvoir ?

Les réponses apportées aux deux questions sont interdépendantes. Les choix effectués ne sont pas purement techniques, ils sous-tendent un projet politique. Ils s’appuient sur des principes de théorie politique, des conceptions particulières de la souveraineté, de sa localisation, de la légitimité des différents niveaux de gouvernement, mais aussi de la citoyenneté et de la démocratie.

Dans les systèmes politiques fédéraux, les modèles d’organisation territoriale sont :
- des principes globaux structurant la société politique et la société civile, afin de construire la légitimité du système politique fédéral autour d’un équilibre entre principes de participation et d’autonomie,
- des modes d’organisation du pouvoir qui concrétisent ces principes dans des dispositifs institutionnels concrets.

À la fin de l’époque moderne, deux modèles opposés d’organisation du pouvoir – sur un mode représentatif – naissent successivement : la Fédération aux États-Unis en 1787 et l’État unitaire en France en 1791. La révolution américaine (1776) débouche sur le choix du fédéralisme pour atteindre la « liberté ». Tandis que la révolution française (1789) a choisi l’unitarisme (assimilé à un jacobinisme républicain) pour aboutir au même but .

L’histoire de la théorie politique tend à privilégier les travaux sur l’État-nation unitaire. Pourtant, de nombreux auteurs ont alimenté une autre tradition de pensée en s’opposant à l’idée dominante selon laquelle l’intégration unitaire et centralisatrice constitue l’objectif ultime de tout système politique. Le fédéralisme s’est ainsi construit, progressivement, comme une alternative :
- une alternative au modèle de l’État unitaire et centralisé, au cœur de la réflexion sur les phénomènes étatiques depuis les travaux de Jean Bodin (1529-1596) et Thomas Hobbes (1588-1679),
- une alternative aussi à la conception de la légitimité qui avait cours à la même époque dans le cadre des monarchies absolutistes de droit divin. C’est dans cette perspective que Johannes Althusius (1557-1638) développa dans Politica (1603) une conception « fédérale » de la souveraineté et de la légitimité politique basée sur le contrat et la répartition des compétences entre les différents niveaux de gouvernement.

Si l’acception moderne du terme « fédéralisme » date des travaux des constituants états-uniens de 1787, il est possible de retrouver des éléments précurseurs dans l’histoire européenne, qu’il s’agisse des travaux de certains auteurs (ex. : Althusius, Pufendorf, Montesquieu) ou d’expériences institutionnelles (ex. : l’Alliance perpétuelle suisse de 1291, le Saint-Empire germanique, la République des Provinces-Unies, etc.). Certains font remonter les prémices de la pensée fédéraliste aux cités grecques des 3e au 1er siècles avant JC. Montesquieu voyait ainsi l’origine du fédéralisme dans l’agencement de l’interdépendance de certaines cités grecques et discutait, dans L’Esprit des Lois (1748, Livre IX), une structure institutionnelle unissant des républiques souveraines pour la réalisation de certains objectifs (« république fédérative »). Selon Montesquieu, un tel arrangement institutionnel devait permettre à la « fédération » de combiner les avantages politiques intérieurs des petites républiques et les avantages économiques et militaires extérieurs des grandes monarchies de l’époque.

Au-delà de la généalogie du concept, il est utile de souligner que la pensée fédéraliste, plurielle, s’est construite progressivement autour des notions d’autonomie et de participation (Burdeau, 1967), d’une recherche d’équilibre entre respect de la diversité et maintien d’une certaine unité et d’enjeux politiques, historiquement situés, liés à la gestion des minorités.

La relative marginalité des théories fédéralistes dans les traités d’histoire de la théorie politique peut s’expliquer. D’une part, le modèle de l’État-nation inspire effectivement le développement des États européens du XVIIe (Traité de Westphalie de 1648) au XXe siècles et étouffera pour longtemps les premiers foyers de réflexion « fédérale ». D’autre part, il n’existe pas un modèle univoque de fédéralisme, ce « processus dynamique dans la recherche d’équilibres variables » (Carl Friedrich, 1968).

Des solutions fédérales seront mobilisées dans de nombreux contextes historiques, géographiques mais aussi idéologiques. Le fédéralisme a ainsi pu véhiculer des idéologies très différentes (conservatisme des fédéralistes états-uniens de 1787, libertarisme proudhonien etc.). Alors que le fédéralisme a été établi aux États-Unis à la veille de l’époque contemporaine (1787), dans un cadre libéral, il servira à organiser l’Union des Républiques socialistes soviétiques, un siècle et demi plus tard (1922), sur la base d’une nouvelle idéologie concurrente : le communisme.

En fonction des périodes, il peut être revendiqué par des mouvements politiques différents et prendre des significations opposées (être centralisateur ou décentralisateur par exemple). De même, selon les contextes et les agendas politiques des acteurs, une proposition de réforme institutionnelle pourra être vue comme centralisatrice ou décentralisatrice, comme assurant l’efficacité du système politique fédéral ou comme déstabilisant l’équilibre entre État fédéral et entités fédérées.

Sur le plan géographique, le fédéralisme est devenu la forme d’organisation territoriale de nombreux États en Amérique du Nord comme du Sud, en Europe, en Asie, en Océanie ou en Afrique où la greffe a semblé plus difficile à prendre suite à la décolonisation. Ces États vont des plus grands : États-Unis, Russie, Inde aux plus petits : Comores, Saint-Christophe et Niévès.

Cette expansion géographique et cette multiplication des expériences institutionnelles s’accompagnent d’une grande diversité des formes contemporaines des régimes fédéraux. Cette diversité découle des contextes politiques et sociaux spécifiques dans lesquels les structures fédérales sont élaborées et évoluent. Cette notice s’attachera à discuter les caractéristiques fondamentales partagées par les systèmes fédéraux au-delà des spécificités des situations concrètes.

Types de fédéralisme

Le fédéralisme le plus large est inspiré des travaux de Proudhon (voir notamment Du principe fédératif, 1863). On parle ici de « fédéralisme intégral ». On peut le définir comme la volonté de rapprocher de l’individu, autant que faire se peut, tous les organes amenés à prendre une décision qui le concerne dans les domaines politique, économique, social, culturel, syndical, sportif… Ce rapprochement allant de pair avec l’organisation de sa participation à la prise de décision.

Le fédéralisme politique est aussi appelé « hamiltonien ». Ce fédéralisme est une forme d’organisation politique, une technique d’aménagement institutionnel qui fait la part de l’unité comme de la diversité. Il veut concilier les diverses communautés politiques d’un État dans le respect de leur valeur propre. C’est dans ce sens que nous entendons « fédéralisme » dans le reste de cette notice.

Différents utopistes ont développé des projets de « fédéralisme international » visant à organiser les États-nations au niveau international sur une base fédérale (Abbé de Saint-Pierre, Jean-Jacques Rousseau, Emmanuel Kant, Victor Hugo, etc.). Des représentants de cette école utopiste forgeront plus tard le concept de « fédéralisme mondial », voyant dans l’ONU l’amorce du gouvernement mondial qu’ils appellent de leurs vœux.

Malgré la présence de quelques précurseurs, c’est surtout après la deuxième Guerre mondiale que l’on a développé l’idée de « fédéralisme européen ». Le but est d’appliquer les théories du fédéralisme à différentes formes d’intégration des États européens pour éviter tout nouveau recours à la guerre. À cette occasion, diverses théories de l’intégration ont été avancées.

Dans le cas du Liban et de Chypre on a parlé de « para-fédéralisme », ou de « fédéralisme personnel ». Dans ce cas, il n’y a pas de base territoriale aux différences de statut. Ce sont les personnes, où qu’elles soient qui ont des statuts différents. En fait, il s’agit d’une sorte de fédéralisme culturel, conçu sur une base principalement confessionnelle. Les croyants d’une même confession ont des droits et des devoirs spécifiques. Ils sont soumis à des cadres et à des codes propres. Ils ont en tant que coreligionnaires un accès particulier au pouvoir où certaines places leur sont réservées. Ces expériences de fédéralisme fondé sur la séparation des communautés nationales sur une base confessionnelle et non territoriale se sont soldées par des guerres.

Eléments de définition

Le fédéralisme

Le terme « fédéralisme » renvoie à l’ensemble des caractéristiques et des pratiques institutionnelles des systèmes politiques fédéraux ainsi qu’aux théories politiques qui ont été construites pour en rendre compte ou pour les promouvoir.

Une fédération peut naître par agrégation ou association (fédéralisme centripète) lorsqu’elle se constitue au départ de plusieurs entités distinctes. Il s’agit du fédéralisme historiquement le plus répandu. L’on parlera de fédéralisme par désagrégation ou dissociation (fédéralisme centrifuge) lorsqu’un État unitaire se transforme en fédération. Nous appelons « État fédéral » la structure constitutionnelle qui régit les compétences déléguées par les États fédérés à une entité unique commune. L’État fédéré est l’unité de base, parfois anciennement souveraine, qui se groupe avec ses semblables et qui délègue une partie de ses compétences (ou de sa souveraineté) à l’État fédéral. La délégation de compétences est théoriquement réversible, mais politiquement difficile et exceptionnelle sur le plan empirique. La souveraineté fédérée s’incarne dans une série d’éléments symboliques ou formels (ex. : hymnes, drapeaux, fêtes « nationales », constitutions propres). Elle s’exprime également à travers les différentes modalités concrètes de représentation des volontés politiques fédérées au niveau de l’État fédéral. L’ensemble formé par l’État fédéral et les États fédérés constitue la Fédération.

1) La Fédération constitue un État souverain, tant au regard du droit international que du droit interne.

La souveraineté externe exclusive de la Fédération est exercée par l’État fédéral. Notons cependant que les États fédérés ont souvent une existence restreinte sur le plan international. Il arrive même que les États fédérés développent une politique extérieure. En Belgique par exemple, les entités fédérées possèdent des compétences internationales dans leurs domaines de compétence interne. Elles développent en conséquence une politique extérieure propre. Le droit international ne reconnaît néanmoins que l’État belge comme acteur capable d’engager la Fédération sur la scène internationale. Des mécanismes de conciliation et de substitution sont prévus en droit interne.

La fédération est régie par une constitution, qui est un instrument de droit interne. Elle n’est modifiable que par une majorité qualifiée d’États membres (application du principe de participation, cf. infra). La sécession d’un État fédéré n’est souvent politiquement possible qu’en passant par la guerre (Pakistan-Bangladesh, ex-Yougoslavie, Sri Lanka). En cas d’accord entre les parties, même si une ou plusieurs entités ne sont a priori pas demandeuses d’une telle « révolution juridique », des scissions peuvent être décidées et mises en œuvre de manière pacifique (République tchèque-République slovaque).

2) La Fédération constitue un système politique complexe qui voit la superposition de deux ordres juridiques complets et distincts.

L’ordre fédéral s’applique à tout le territoire et à toute la population ; il est uniforme. Par contre, il y a autant d’ordres juridiques fédérés qu’il y a d’États fédérés. Chacun de ceux-ci est spécifique à un État fédéré, à sa population, à son territoire.

Il y a un partage de compétences entre l’État fédéral et les États fédérés. En général, les États fédérés ont une compétence de principe, l’État fédéral une compétence d’attribution, limitée aux domaines spécifiés dans les dispositions juridiques organisant la répartition des compétences. Dans le cas d’un fédéralisme par agrégation, la cession de compétences par les États fédérés à l’État fédéral est ascendante. S’il s’agit de fédéralisme par désagrégation, la dévolution est descendante.

Les autorités fédérales exercent leurs pouvoirs directement sur les citoyens : la loi fédérale est obligatoire directement sans médiation des autorités fédérées.

3) Il y a plusieurs volontés politiques qui s’expriment par des canaux différents.

D’un point de vue théorique, ces volontés politiques fédérale et fédérées ne sont pas dans un rapport hiérarchique, mais bien d’égalité. Cette égalité de principe exclut le mécanisme de tutelle. Les arrangements constitutionnels prévoient toutefois généralement une supériorité juridique des lois fédérales. Cette hiérarchie des normes exige un contrôle de constitutionnalité exercé par une Cour constitutionnelle fédérale qui fait respecter la primauté fédérale et, plus fondamentalement, la répartition des compétences. Il y a donc une double hiérarchie :
- une hiérarchie des ordres juridiques,
- une hiérarchie au sein d’un même ordre juridique.

Mais on remarque que politiquement, il y a une certaine intrication des deux ordres (cf. infra, les mécanismes d’influence réciproque). Par ailleurs, il y a parfois équipollence (égalité) des normes fédérales et fédérées. Dans un système caractérisé par un faible nombre d’entités ou de communautés, comme en Belgique par exemple, l’égalité des normes répond notamment à la volonté d’éviter qu’un groupe majoritaire au niveau fédéral n’empiète sur les compétences fédérées, au détriment de certaines entités minorisées au niveau fédéral.

4) L’autonomie est généralement reconnue comme une des conditions-clés du fédéralisme.

Ce concept signifie que chaque composante, l’État fédéral d’une part, chacun des États fédérés de l’autre, est autonome dans sa sphère de compétences. Cette autonomie vise un ensemble de matières attribuées les unes à l’État fédéral, les autres aux États fédérés. Les matières fédérées sont en général identiques pour chaque État fédéré. L’exercice de ces compétences exige une capacité normative et financière suffisante pour gérer pleinement les compétences. Une matière fédérée est donc traitée différemment par chaque État fédéré tant sur le plan normatif que budgétaire. Chaque entité peut donc mettre en œuvre ses compétences selon la volonté politique particulière qui s’y est dégagée. Ceci inclut l’autonomie constitutive, soit la faculté pour chaque État fédéré de se doter de sa propre constitution, dans le respect des règles générales de la Fédération.

5) La participation est le second élément-clé traditionnel.

C’est la reconnaissance du fait que les États fédérés doivent collaborer à la gestion de l’EÉat fédéral. Le Sénat fédéral est le lieu privilégié de ce mécanisme. La formule classique de composition du Sénat fédéral états-unien – deux sénateurs par État fédéré – reflète l’égalité d’origine des États fondateurs de la Fédération. Les sénateurs sont élus dans chacun des États fédérés. Notons la formule originale du Bundesrat allemand : ce sont les ministres des différents Länder qui y siègent, sur une base pondérée par le poids démographique de chaque Land.

La participation n’a évidemment de sens que si les États fédérés sont autonomes. Mais on peut penser que trop de participation finit par tuer l’autonomie et provoquer le dérèglement du système.

6) La solidarité constitue un dernier critère.

Celle-ci peut se manifester dans trois domaines au moins :
- institutionnel : on évoque ici la notion de loyauté fédérale qui consiste pour chaque composante à ne pas utiliser ses compétences à seule fin de nuire à un ou à plusieurs autres membres. On considère aussi que le refus de sécession entre dans ce concept. Vouloir se retirer serait une forme d’égoïsme incompatible avec la loyauté fédérale. La loyauté fédérale est un état d’esprit pour régler les conflits d’intérêt et accroître la cohésion, particulièrement dans une Fédération pluricommunautaire.
- financier : les composantes les plus pauvres sont en droit d’attendre une aide financière de la part des plus riches ou en leur nom de la part de l’État fédéral. Dans cette perspective, un système de péréquation est parfois mis en œuvre. Il s’agit d’une redistribution automatique de moyens des États fédérés les plus riches vers les États fédérés les plus pauvres.
- politique : elle n’est pas seulement compassionnelle dans le cas de catastrophe, elle consiste surtout à ne pas suivre de politique qui pourrait heurter les intérêts matériels ou symboliques de certaines parties de la Fédération, par exemple dans le domaine, certes limité, des relations extérieures des États fédérés. Les arrangements politiques et institutionnels destinés à éviter ou régler ce type de conflit d’intérêts sont multiples. La politique de neutralité suisse en constitue un exemple.

Confédéralisme et supranationalité

Pour terminer cette section consacrée aux définitions, il paraît utile de dire quelques mots de deux concepts distincts : le confédéralisme et la supranationalité.

La Confédération d’États est une association permanente de plusieurs États souverains, indépendants et qui le restent. Ils ont convenu de confier certaines de leurs compétences à des organes communs. La Confédération n’est pas un véritable État ni sur le plan international ni sur le plan interne. Elle est une forme particulière d’organisation internationale. Ses institutions sont composées de délégués des États confédérés. Le pacte confédéral ne peut être modifié que de l’accord de tous les membres. Chacun dispose du droit de veto et du droit de sécession. Il y a une délégation ascendante de la base vers le sommet. Il n’y a ici ni exclusivité décisionnelle ni applicabilité directe. Les compétences confédérées sont en général limitées aux aspects essentiels des relations internationales, de la défense, parfois de la monnaie ou de la politique économique. Il s’agit essentiellement de relations horizontales sur pied d’égalité. Le mode de fonctionnement est diplomatique.

La supranationalité est un concept étroitement lié à la construction européenne (Union européenne). Il s’agit d’un transfert de compétences vers une organisation distincte des États, dotée d’une personnalité juridique propre, d’une autorité décisionnelle indépendante et de ressources. Les normes prises par la structure supranationale sont supérieures aux normes nationales. Elles s’imposent directement dans l’ordre juridique interne aux personnes physiques comme aux personnes morales. Ce système se situe entre le fédéralisme et le confédéralisme.

Questions juridiques et politiques : organisation et jeux de(s) pouvoirs

La structure fédérale, comme toute structure étatique, ne sera pas sans influence sur le nombre des acteurs, leurs caractéristiques, leurs ressources, les contraintes qui pèsent sur eux, les mécanismes d’influence réciproque ou les enjeux ayant pour thèmes la « légitimité primordiale » et le conflit entre légitimités, l’allégeance et le sentiment d’identité « nationale ». La répartition des compétences est de ce point de vue à la fois un élément structurel et un enjeu politique fondamental.

La dévolution des compétences

Le partage des compétences ne peut être déterminé qu’empiriquement. Les accords institutionnels varient en effet dans le temps et dans l’espace. Il est toutefois possible de présenter une série de concepts généraux qui permettent d’appréhender les différentes situations fédérales.

L’on dit souvent que la répartition des compétences se fait selon la théorie des compartiments. Le constituant choisirait entre des compartiments :
- étanches : chaque entité a l’exclusivité et la totalité de ses matières (cf. « fédéralisme dualiste » états-unien du XIXe siècle),
- perméables : les compétences sont fragmentées entre le niveau fédéral et le niveau fédéré ou elles sont partagées : une compétence est fédérée sauf si le fédéral s’en saisit et dans ce cas il en acquiert l’exclusivité (compétence fédérale concurrente).

En fait, la théorie de l’étanchéité est impraticable, sauf peut-être en matière monétaire et donc d’unité économique. Les choses sont donc assez subtiles. La théorie des compartiments perméables est rendue encore plus complexe par différents mécanismes. Citons-en deux :
- Un législateur a accessoirement mais nécessairement besoin d’une compétence qui n’est pas la sienne pour pouvoir mettre en œuvre utilement une compétence qui lui est formellement attribuée : ce pouvoir d’empiètement lui est implicitement reconnu (compétences implicites).
- Le pouvoir fédéral usurpe une compétence fédérée. Cet empiètement fédéral se réalise souvent par le biais de subsides conditionnels.

Notons enfin que, généralement, le pouvoir résiduaire appartient aux Etats fédérés. C’est le contraire de la compétence d’attribution. La compétence de la compétence, elle, revient à la Fédération.

La légitimité du pouvoir constitue un élément essentiel de son assise. Dans un régime fédéral, la légitimité se répartit entre les deux niveaux. Ceci concerne également la localisation des compétences entre le fédéral et le fédéré. Le cas de la sécurité sociale en Belgique est un exemple éclairant. Les partis politiques flamands veulent la confier partiellement aux États fédérés, les partis politiques wallons déclarent que dans ce cas la Belgique cesserait d’exister.

Voyons maintenant concrètement les matières qui, généralement, relèvent du niveau fédéral, les autres étant du ressort fédéré :
- affaires étrangères, diplomatie ;
- sécurité extérieure, défense nationale, armée ;
- sécurité intérieure, lutte contre la criminalité étrangère et interétatique ;
- unité économique (marché unique) et monétaire ;
- commerce extérieur et interétatique ;
- droits de l’homme.

Les principes généraux de bien d’autres matières sont aussi du ressort fédéral : sécurité sociale, emploi des langues, citoyenneté, etc.

Rapports de force et mécanismes d’influence réciproque

Il convient d’examiner ici d’une part les différentes formes de coopération et d’autre part de rechercher s’il y a un mouvement général en faveur de l’un ou de l’autre niveau.

La coopération est soit horizontale, soit verticale. Elle peut être institutionnelle ou informelle.

- La coopération horizontale, entre États fédérés, est le plus souvent informelle, ou en tout cas volontaire, non obligatoire légalement. Il s’agit ici par exemple de réunions régulières des gouverneurs des États américains ou des ministres de l’enseignement allemands. Il peut s’agir de se concerter pour montrer qu’une intervention fédérale est inutile, mais aussi d’arrêter des positions communes avant une négociation avec le pouvoir fédéral et par là être en position de force.
- La coopération verticale, entre État(s) fédéré(s) et État fédéral est plus souvent formalisée, voire obligatoire. Le principe de participation est l’instrument majeur de la coopération verticale ascendante. L’Allemagne et la Suisse nous donnent des exemples de coopération verticale descendante avec l’administration indirecte : ce sont les Länder et les Cantons suisses qui exécutent, par leur administration, l’essentiel de la législation fédérale.

Le politologue est tenté de rechercher un mouvement général de renforcement de l’un des deux niveaux. Lesquelles des forces centripètes ou centrifuges l’emportent ? Il n’y a pas de loi générale. Il semble que les Fédérations nées par agrégation soient plutôt centralisatrices et que celles nées par désagrégation soient centrifuges.

Les systèmes politiques et électoraux peuvent influencer la dynamique centrifuge ou centripète qui anime les Fédérations. Le régime parlementaire aux deux niveaux, fédéral et fédéré, atténue les conflits de légitimité, le régime présidentiel les exacerbe. La formule la plus dangereuse pour la survie de la Fédération serait un régime parlementaire au niveau fédéral et un régime présidentiel au niveau des États fédérés ainsi que l’atteste par exemple le passage de l’URSS à la Confédération des États indépendants pendant la période parlementaire fédérale.

Le contexte politique global, national ou international influence également les rapports de force entre acteurs et niveaux de pouvoir. L’on peut remarquer, par exemple, qu’un climat de tensions internationales : guerre, guerre froide, craintes terroristes, pousse à la centralisation au nom de l’efficacité.

L’on note également que l’État fédéral utilise l’instrument financier pour accroître son pouvoir. Il s’agit essentiellement du mécanisme des subventions conditionnelles. Un subside est alloué aux États fédérés qui acceptent certaines politiques fédérales qui empiètent sur leurs compétences. En caricaturant, on dira que la subvention conditionnelle permet à l’État fédéral d’acheter des compétences fédérées. Celui qui paye veut décider.

Les forces politiques

Le système des partis politiques est largement influencé par la structure fédérale et la conditionne réciproquement. En fait, il y a souvent deux systèmes de partis qui se superposent et qui entretiennent des relations plus ou moins étroites. Un système partisan fédéral se consacre à la conquête du pouvoir à ce niveau et des systèmes partisans fédérés qui en font autant à l’échelon fédéré. Au niveau fédéré le parti peut être idéologique ou nationaliste. Le parti idéologique sera souvent l’expression locale d’une idéologie également présente au niveau fédéral, le support de demandes spécifiques. On peut se poser la question de savoir si les partis fédérés sont plus proches des citoyens que ne le sont les partis fédéraux.

L’Espagne nous propose une particularité politique intéressante. Les partis régionaux nationalistes accèdent au gouvernement central. Ayant des élus au niveau fédéral, ils peuvent former l’appoint d’une majorité et ainsi recueillir pour leur région les dividendes de cette participation. Dans le cas belge, cette logique est poussée à l’extrême puisque les partis fédéraux ont disparu. L’absence de partis fédéraux a un effet désagrégateur. Les partis fédérés risquent de n’avoir d’autres intérêts que locaux. En régime parlementaire, cette multiplication des forces politiques autonomes qui s’adressent à des électorats distincts rend la constitution de gouvernements de coalition très difficile. A contrario, les partis fédéraux amènent plus facilement un consensus puisqu’ils sont responsables à travers toute la fédération et qu’ils entretiennent et dépendent d’une opinion publique nationale.

Le personnel politique est-il spécialisé selon les niveaux de pouvoir ? La réponse semble assez simple. Les personnalités politiques les plus importantes sont multi-niveaux. Elles passent d’un niveau à l’autre en fonction de l’évolution de leur carrière. Et lorsque leur fonction principale les situe à un niveau, elles jouent de l’autre niveau pour appuyer leurs actions et leur avenir. Un personnel politique subalterne limite ses ambitions au niveau fédéré.

Les groupes de pression sont actifs aux différents niveaux de pouvoir. L’existence d’un pouvoir suscite la création de lobbies qui lui sont spécifiques, que ce soit pour exercer une influence sur ce niveau ou que ce soient différents acteurs de ce niveau qui se groupent pour défendre des intérêts communs vis-à-vis d’autres niveaux. Le niveau fédéral et le niveau fédéré ne constituent pas la cible des mêmes groupes de pression, en tout cas pas pour les mêmes objets : tout dépend des domaines dont ils ont la gestion. Selon leurs projets et leurs objectifs, ces groupes s’organisent donc au niveau fédéré – mais pas nécessairement dans toutes les entités fédérées – ou au niveau fédéral.

Ceci nous amène à soulever une question politique importante. Le niveau fédéré est-il suffisamment armé, puissant pour résister à la pression indue et prendre ses décisions en toute indépendance ? (Duverger, 1974, p. 94-95) Les avis sont partagés et plus d’un estime que l’État unitaire et la Fédération centralisée sont particulièrement forts dans ce combat, tandis que l’État fédéral connaissant un faible degré de concentration et les États fédérés seraient des proies faciles pour les groupes de pression. Il nous semble qu’il s’agit là d’une vision rapide des choses. Dans le cas de l’État unitaire comme dans celui de la Fédération centralisée, il n’y a qu’un seul niveau à persuader. Tandis que l’État fédéral faiblement concentré et les États fédérés parce qu’ils constituent plusieurs niveaux multiplient ainsi les obstacles et peuvent constituer une meilleure protection de l’indépendance. En fait, c’est l’ensemble des pratiques politiques, de la volonté de résister, de la culture d’indépendance qui importent. C’est bien plus une affaire politique qu’une question institutionnelle.

Les administrations préparent et exécutent les décisions politiques. Dans les Fédérations, les États fédérés ont toujours leur administration propre. Dans certains cas, elles exécutent l’essentiel des décisions fédérales. La controverse porte sur la question de savoir si cette procédure augmente ou restreint l’autonomie des États fédérés. Pour les uns, elle l’accroît puisqu’une marge de manœuvre est laissée à chaque administration fédérée qui appliquera la norme ou la politique en fonction de son tempérament propre voire en l’adaptant selon les conditions locales, amplifiant tel aspect, diminuant tel autre. D’autres pensent qu’au contraire elle l’affaiblit dans la mesure où l’État fédéral ne peut rester indifférent à la façon dont ses décisions sont appliquées et qu’il doit donc exercer sous une forme ou sous une autre un contrôle qui limite la liberté de l’administration fédérée, peut-être même dans ses secteurs propres.

Conclusions

La définition proposée ici se veut opérationnelle dans le domaine de la science politique. En conséquence, les aspects hamiltoniens ont été privilégiés au détriment des proudhoniens. Cette définition répond à la volonté de distinguer aisément le fédéralisme des autres formes de structure politique complexe, sans ignorer que l’on peut tracer un continuum depuis l’État unitaire jusqu’à un système d’États indépendants en passant par le régionalisme, le fédéralisme et le confédéralisme.

Le principe de subsidiarité irrigue les systèmes fédéraux. Il s’inscrit dans l’héritage libéral avec Alexis de Tocqueville comme dans la perspective sociale de l’Église catholique. Il s’oppose au principe de hiérarchie. L’idée est de rapprocher autant que faire se peut la décision du citoyen. Ce serait un moyen pour déterminer la localisation optimale d’une compétence, avec un postulat : le niveau le plus bas possible serait le plus efficace et le plus légitime. Dans le cas d’une Fédération par agrégation, c’est l’échelon inférieur qui décide s’il consent à déléguer vers le haut et à quel niveau.

Sans succomber à la croyance à une « démocratie-kilomètre », on peut accepter que cet effet de proximité rend l’accès au pouvoir plus facile, la participation plus tentante. La subsidiarité reconnaît et favorise la diversité, la tolérance. Il y a création de nouvelles zones de pouvoir. Sur cette base, le fédéralisme peut être assimilé à une forme de polyarchie. Il multiplie les centres de pouvoir et de contre-pouvoirs pour éviter l’absolutisme. Il peut constituer un élément de réponse à la crise de la représentation. Il rapproche les citoyens et les décideurs de leurs repères. Le fédéralisme est fondé sur la complémentarité des niveaux de pouvoir et non sur leur concurrence.

A contrario, il faut estimer la compatibilité du principe de subsidiarité avec la prise en compte de l’intérêt général. N’oppose-t-il pas la proximité à l’universalité ? En privilégiant le local, ne pousse-t-il pas à l’égoïsme, voire au populisme ? Il complexifie le système. Cette complexité s’accompagne d’une série d’effets pervers potentiels. Elle peut nuire à la compréhension des décisions et des enjeux, elle allonge les procédures, elle risque d’entraîner des coûts financiers plus élevés et de cloisonner les inégalités. Par ailleurs, la politique internationale acquiert de plus en plus une dimension intérieure et en devient un déterminant, ce qui risque de paralyser le principe de subsidiarité.

Dans toute structure complexe, les identités sont multiples. Elle se répartissent, selon des degrés variables, entre les différents niveaux et sont « activées » de manière différenciée selon les contextes d’action. Ceci nous rappelle que les identités sont cumulatives et variables en intensité selon les lieux et les circonstances, et ce pour une même personne.

Si les conflits d’identité, de légitimité et d’intérêts ne font pas l’objet de mécanismes régulateurs et compensatoires, c’est la souveraineté de la Fédération et son existence même qui sera contestée. Un Etat fédéré trop riche ou trop pauvre ou trop différent sera alors tenté de revendiquer un statut spécial, voire l’indépendance. L’histoire nous apprend que la sécession risque d’entraîner la guerre civile (États-Unis, Biafra, ex-Yougoslavie). La création d’une Fédération apaise certains conflits mais en révèle, voire en crée d’autres.

Un certain renouveau des idées fédérales s’est ainsi inscrit dans le cadre des débats récents sur les défis auxquels sont confrontées les démocraties multinationales ou multiculturelles. Ces perspectives philosophiques et politiques contemporaines renvoient aux problématiques originelles qui ont alimenté la pensée fédérale : la gestion des minorités – en particulier insoumises – et la recherche d’un équilibre entre respect de la diversité et maintien d’une certaine unité.

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Comment citer cet article :

Beaufays, Jean et Matagne, Geoffroy (2007), « Fédéralisme », in V. Bourdeau et R. Merrill (dir.), DicoPo, Dictionnaire de théorie politique.

http://dicopo.org/spip.php ?article85

Date de publication :  non spécifiée
Dernière modification substantielle :  Jeudi le 20 décembre 2007 à 11:29
Dernière modification :  Jeudi le 20 décembre 2007 à 11:56

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