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Éthique de la guerre

par Cécile Fabre

L’éthique de la guerre est constituée de l’ensemble des principes normatifs qui régulent le recours à la guerre, ou jus ad bellum, la conduite des belligérants pendant la guerre en cours, ou jus in bello. Plus récemment, certains philosophes se sont penchés sur les principes qui régulent la conduite des vainqueurs une fois la guerre terminée, ou jus post bellum. Contrairement à bien d’autres questions d’ordre moral et politique, l’éthique de la guerre a suscité l’intérêt de presque toutes les grandes traditions et écoles religieuses et philosophiques, que ce soit l’Islam, le Christianisme, la pensée chinoise des cinquième et sixième siècles avant Jésus-Christ, ou le libéralisme contemporain.

Il importe de noter que la notion même d’éthique de la guerre présuppose, d’une part, le rejet du pacifisme absolu, et, d’autre part, le rejet du réalisme absolu. Car dans la mesure où l’éthique de la guerre offre une justification morale aussi bien au recours à la guerre qu’à certains actes de guerre, elle s’oppose au pacifiste qui rejette la guerre quelles que soient les circonstances. Et dans la mesure où l’éthique de la guerre prétend imposer des normes morales au recours à la guerre, et à la conduite des belligérants pendant et après la guerre, elle s’oppose au réaliste qui maintient qu’un État est libre d’agir dans ses propres intérêts, quelles qu’en soient les conséquences pour les autres États.

Il existe des différences importantes entre les traditions citées ci-dessus quant au contenu des principes de la guerre. La lecture judéo-chrétienne de la guerre, inspirée à la fois du droit romain et des traditions augustinienne et thomiste, et codifiée entre le seizième et le dix-huitième siècles par, entre autres, Francisco Suarez, Francisco de Vittoria, Hugo Grotius, Francis Vattel et Emmanuel Kant, sous-tend les textes de droit international public tels que la Charte des Nations Unies et les Conventions de Genève. C’est donc à cette lecture que se consacre cette notice.

Dans cette tradition, les principes qui réglementent le jus ad bellum sont au nombre de six :

1. La cause de l’État qui déclare la guerre doit être juste.

2. La guerre doit être déclarée par une autorité souveraine légitime.

3. L’autorité qui déclare la guerre doit le faire avec des intentions droites.

4. La guerre doit être déclarée en dernier ressort.

5. La guerre ne peut être déclarée que si ses chances de réussite sont raisonnables.

6. Les coûts de la guerre doivent être proportionnés à ses bénéfices.

Les principes du jus in bello sont au nombre de trois :

1. Les belligérants se doivent de différencier entre combattants et non-combattants, et de ne pas tuer ces derniers volontairement.

2. Les belligérants se doivent de ne pas employer de force excessive.

3. Les maux conséquents à tout acte de guerre doivent être proportionnés à ses bénéfices.

Les principes du jus post bellum, quant à eux, régissent les traités de paix, le paiement éventuel de réparations, ainsi que la traduction en justice des criminels de guerre, dans les grandes lignes suivantes :

1. Un État belligérant doit mettre fin à la guerre s’il a atteint ses objectifs de guerre et si l’État agresseur est prêt à se rendre.

2. Armistices et traités de paix doivent être conclus par des autorités souveraines et légitimes.

3. Les termes des armistices et traités de paix doivent être proportionnés aux torts commis par l’État agresseur et qui ont justifié le recours à la guerre en premier lieu, ainsi qu’aux torts commis pendant la guerre par les belligérants.

4. Ne peuvent être traduits en justice que les individus directement responsables des torts qui ont justifié le recours à la guerre en premier lieu et des crimes commis pendant la guerre.

Selon l’interprétation la plus stricte de l’éthique de la guerre, toute guerre qui contrevient à ces principes est une guerre injuste. Or, aucune guerre n’a jamais rempli ces critères, pas même la guerre des Alliés contre l’Allemagne nazie - une guerre que beaucoup, pourtant, estiment être l’exemple type de la guerre juste. Dès lors, l’on peut s’interroger sur la portée pratique de cette tradition philosophique. De fait, certains philosophes estiment que ce qui distingue une guerre juste d’une guerre injuste est, soit l’adhérence aux principes du jus ad bellum, soit l’adhérence aux principes du jus in bello.

Il n’est pas question, dans ce court article, de nous livrer à un commentaire critique détaillé de ces treize principes. Notons cependant que les catégories du jus ad bellum, jus in bello, et jus post bellum, sont supposées être indépendantes les unes des autres, de sorte qu’un État dont le recours à la guerre est injuste (par exemple, parce qu’il envahit un État voisin dans le seul but de s’approprier toutes ses ressources naturelles), peut néanmoins conduire cette guerre de manière juste (par exemple s’il respecte le principe de différentiation entre combattants et non-combattants). Une fois vaincu, les dirigeants de cet État pourront être jugés pour avoir commis le crime de guerre de l’agression, mais non pour avoir ordonné la mort des combattants de l’État qu’ils ont injustement envahi. On peut s’interroger sur le bien fondé de ce point de vue, puisqu’il semble, après tout, que si l’acte d’envahir un pays par la force est injuste, celui de tuer les combattants de ce pays au cours de la guerre résultant de l’agression l’est sûrement aussi, et constitue donc un meurtre. De ce point de vue, le jus ad bellum et le jus in bello sont interdépendants. De toute évidence, cela suppose que le soldat qui tue un ennemi tue en tant qu’individu et est jugé en tant que tel, et non en tant qu’agent (sans volonté propre) du souverain. Si cette thèse extrêmement controversée était mise en pratique, personne n’accepterait de partir en guerre.

Notons aussi que le principe de différentiation autorise les combattants à tuer des non-combattants moralement innocents, à condition de ne pas les tuer volontairement. En cela, le principe de différentiation repose sur la doctrine du double effet (à l’origine articulée par des théologiens chrétiens tels Saint Thomas). La doctrine du double effet identifie certains actes dont l’effet est double : un effet négatif (par exemple, tuer quelqu’un) et un effet positif (par exemple, sauver la vie d’une autre personne). Selon la doctrine, commettre un acte de ce type est moralement permis si, et seulement si, son effet négatif est la conséquence prévue, mais non voulue, de cet acte. En revanche, cet acte n’est pas permis s’il est commis précisément parce que son effet négatif permettra de produire l’effet positif. Imaginons qu’un pays P soit en guerre contre un autre pays Q. Dans un premier cas, P bombarde les installations militaires de Q, ce qui produit un double effet : les civils qui habitent à proximité de ces installations meurent dans cette attaque (effet négatif), mais P gagne la guerre et donc sauve la vie de milliers de gens sur le moyen et long terme (effet positif). Dans un deuxième cas, P bombarde les villes les plus peuplées de Q, ce qui produit un double effet : des centaines de gens meurent dans cette attaque (effet négatif), mais Q, se rendant compte de l’écrasante supériorité militaire de P, capitule sans conditions, de sorte que P gagne la guerre (effet positif). Aux termes de la doctrine du double effet, P a le droit, moralement, de procéder au bombardement dans le premier cas, mais pas dans le deuxième. En effet, dans le premier cas, les pertes de vie civiles sont la conséquence prévue, mais non voulue, du bombardement. En revanche, dans le deuxième cas, elles sont la conséquence prévue et voulue de ce bombardement – et voulue, précisément, afin de produire l’effet positif de ce bombardement, à savoir la capitulation de Q et la victoire de P. Autrement dit, la doctrine du double effet justifie les dommages collatéraux de la guerre.

Notons, finalement, que les principes de l’éthique de la guerre semblent peu adaptés, en l’état, aux formes de guerres qui semblent prévaloir dans le monde contemporain. Pour ne donner que deux exemples, les principes selon lequel la guerre doit être déclarée et terminée par des autorités souveraines et légitimes – en somme, des États - ne prend pas en compte le phénomène des guerres civiles, qui opposent des groupes d’individus à leur propre État. De même, le principe de différentiation entre combattants et non-combattants repose sur l’idée d’une guerre menée de part et d’autre par des armées régulières, et dont les civils ne sont que d’innocents spectateurs. En cela, les combattants irréguliers, tels que guérilleros ou terroristes, échappent au principe de différentiation.

Bibliographie sélective

MCMAHAN, J., 1994. « Innocence, Self-Defense and Killing in War », Journal of Political Philosophy, vol. 2 : 193-221.

NAGEL, T., 1972. « War and Massacre », Philosophy and Public Affairs, vol.1/2 : 123-144.

ST THOMAS D’AQUIN. Somme Théologique, deuxième partie, question 40.

TUCK, R., 1999. The Rights of War and Peace : Political Thought and the International Order from Grotius to Kant, Oxford : Oxford University Press.

WALZER, M., 2006. Just and Unjust Wars, New York : Basic Books, 4e édition.

Liens : Doctrine du double-effet – Grotius – Guerre - Guerre préventive – Justice - Kant - Saint Thomas d’Aquin – Suarez - Vattel -Vitoria

Comment citer cet article :

Fabre, Cécile (2007), « Éthique de la guerre », in V. Bourdeau et R. Merrill (dir.), DicoPo, Dictionnaire de théorie politique.

http://www.dicopo.org/spip.php ?article42

Date de publication :  non spécifiée
Dernière modification substantielle :  Lundi le 18 juin 2007 à 16:12
Dernière modification :  Vendredi le 28 décembre 2007 à 13:27

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