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Biopolitique

par Thomas Seguin

Le concept de biopolitique est apparu au fil des œuvres de Michel Foucault. Dans La volonté de savoir ou La naissance de la clinique, Foucault entreprit de cerner l’étendue du pouvoir moderne à travers l’analyse socio-historique des disciplines qui régissent les comportements dans le domaine psychiatrique ou les pratiques sexuelles. Ensuite, avec ses cours au Collège de France, notamment La Naissance de la biopolitique et Il faut défendre la société, Foucault élargit son approche à une vision biologique centrée sur les notions de normes, d’espèces, de territoires ou de populations. Aujourd’hui, la biopolitique constitue un concept utilisé et discuté qui reste néanmoins à expliciter.

L’hypothèse d’une biopolitique repose sur une distinction aristotélicienne entre zoé, propriété des organismes vivants, le simple fait d’être vivant, et bios, la vie politiquement qualifiée, la vie comme objet de technique. Selon Agamben, Aristote, dans le but de promouvoir sa communauté parfaite, oppose ces deux termes, morphologiquement et strictement distincts (Agamben, 1997 : 11). La vie est située en marge de l’organisation politique. Or, la modernité marque un seuil dans la gouvernementalité : une politisation croissante de la vie. L’inclusion de la zoé dans la polis expose la vie au pouvoir.

Foucault constate une évolution progressive de la souveraineté. Elle ne s’exerce plus simplement par le droit de mort ou le droit de vie. Il ne s’agit pas de « faire mourir » mais de « laisser vivre », d’orienter la vie. Ainsi, Foucault complète le schéma juridico-politique avec une approche anthropologique de la souveraineté en terme de dispositifs. Les dispositifs contiennent aussi bien du verbal que du non-verbal. Les lois, les règlements comme les machines et les savoirs disciplinaires instituent des pouvoirs locaux qui relèvent d’une micro-politique. Ces dispositifs interagissent dans la formation et la constitution des subjectivités et des corps.

La biopolitique décrit les processus par lesquels on tente de résoudre les problèmes posés à la pratique gouvernementale par les phénomènes propres à un ensemble de vivants constitués en population (Foucault, 2004 : 323). Concrètement, Foucault situe le développement de ce pouvoir sur la vie au XVIIe siècle autour de deux pôles liés entre eux. Le premier pôle a été centré sur le corps comme machine, son intégration à des systèmes de contrôles efficaces et économiques : son dressage, la majoration de ses aptitudes, l’extorsion de ses forces. Le second pôle, émergeant plus tard, est centré sur le corps comme espèce, sur le corps traversé par la mécanique du vivant et servant de support aux processus biologiques : la durée de vie, les naissances, la mortalité (Foucault, 1976 : 182). Cette prise en charge de la vie s’opère par toute une série d’interventions et de contrôles régulateurs qui font coïncider zoé et bios dans une confusion interprétée comme une rationalisation extrême des techniques de domination en Occident- une société normalisatrice. Le biopouvoir représente la structure historico-politique d’un pouvoir souverain qui applique une gouvernance biopolitique.

La biopolitique est à la fois un problème politique et biologique de pouvoir. Les raisons du développement d’un biopouvoir sont à chercher dans les fondements métaphysiques et politiques de l’État moderne. Symbole de la raison et de la modernité naissante, l’État souhaite assurer l’unité de son pouvoir en maîtrisant le réel. Il lui faut ordonner l’ensemble du social. Il tente ainsi de classifier et de réguler toutes les formes d’expérience à travers la construction systématique de connaissances, de pratiques et de discours. En outre, l’État est confronté à la massification et à la différentiation de ses sujets ce qui complique sa gouvernance de la société. Il lui faut donc gérer l’imprévisible et la diversité biologique. Une des façons par laquelle l’État s’assure une lisibilité des populations consiste à subdiviser l’espèce en des entités discernables et circonscrites ; des sous-groupes qui seront, précisément, des races (Foucault, 1997 : 228). Néanmoins, la lisibilité n’est pas le seul motif de la segmentation sociale et biologique des populations. Pour Foucault, le droit souverain est fondé sur la guerre. Selon lui, la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens. Dans la mesure où la loi naît des batailles, elle constitue la loi des vainqueurs en excluant les vaincus. Le conflit politique et ses modalités de résolution trouvent ses racines dans cette vision belligérante. Dès lors, sans réelle conscience de la nature de la loi en tant que médium des conflits politiques et de ses origines guerrières, celle-ci perpétue une lutte permanente de tous contre tous qui a pour but de ne pas remettre en cause la victoire instituée. Par conséquent, la césure biologique et sociale que Foucault nous présente est à la fois une manière de simplifier, de rationaliser la masse mais aussi un moyen de diviser les groupes entre eux pour que le pouvoir puisse asseoir son hégémonie. Cet appel à combattre le péril biologique de cette autre race qui infiltre le corps social incarne pour Foucault un racisme biologico-social. Celui-ci peut engendrer un excès du biopouvoir car le pouvoir souverain peut exterminer sa population, ses propres sujets qui le fondent. L’excès du biopouvoir est un cas extrême qui est contenu dans le dernier ordre d’Adolf Hitler lorsqu’il exige, après l’avoir épuré, la destruction du peuple allemand parce qu’il a failli. L’excès du biopouvoir peut aussi prendre la forme d’une fabrication du vivant ou d’un virus incontrôlable.

Dans sa généalogie de la biopolitique, Foucault souligne que l’introduction de la gestion politique de la vie dans l’histoire s’opère à partir du développement de l’économie politique. Cette discipline va étudier la nature propre aux objets gouvernementaux. L’économie politique et le marché, en tant que facteurs explicatifs des mécanismes « naturels », oriente la raison gouvernementale selon le principe d’utilité. De façon prépondérante, la rationalité de calcul s’impose comme la ratio gouvernementale. Celle-ci détermine la gestion de la vie de telle sorte que la forme « entreprise » devient la puissance « informante » de la société. Au début du siècle, la Vitalpolitik, développée en Allemagne, n’entend pas constituer une trame sociale où l’individu serait au plus près de la nature. Son but est plutôt de construire une trame où les unités de base auraient la forme de l’entreprise. De nombreuses critiques du capitalisme s’appuient sur cette filiation entre gestion politique de la vie et rationalité économique. Ils dénoncent par exemple la « marchandisation » de l’humain et les effets de l’économisme sur la vie quotidienne.

La vie et le vivant sont aujourd’hui placés au cœur de nouvelles batailles politiques et de nouvelles stratégies économiques. On peut constater deux évolutions contemporaines de la biopolitique :

1- La société du risque accentue en effet la gestion et la sécurisation des aspects de la vie.

2- De plus, l’émergence d’un bios virtuel représente une autre forme de vie médiatisée par les nouvelles technologies de l’information, le système des objets, la société de consommation. Intégré et adapté aux régimes de visibilité publique et à ceux de représentation du capital, ce nouveau bios est régi par le marché et appuyé par une esthétique généralisée.

Si on conçoit aisément quelle vie est visée par les stratégies biopolitiques du pouvoir, il est plus difficile de reconstruire la politique à partir de la vie, de concevoir la vie comme vérité du politique. Tel est le passage d’une analyse généalogique du biopouvoir à un contenu pour la biopolitique. Tel est le passage d’une intégration négative de la vie à une intégration positive de la vie dans la régulation politique (Derrida, 2003 : 179). Zoé et bios sont inséparablement liés même si on les pense du côté de la libération.

Bibliographie

AGAMBEN, G., 1997. Homo Sacer, Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris : Seuil.

DERRIDA, J., 2003. Voyous, Deux essais sur la raison, Paris : Galilée.

FOUCAULT, M., 1976. La volonté de savoir, Histoire de la sexualité, tome I, Paris : Gallimard.

FOUCAULT, M., 1997. Il faut défendre la société : Cours au collège de France 1976, Paris : Hautes-Études/Seuil/Gallimard.

FOUCAULT, M., 2004. Naissance de la biopolitique : Cours au collège de France 1978-1979, Paris : Seuil.

Liens : Agamben - Aristote – Bio-pouvoir - Derrida – Eugénisme - Foucault

Comment citer cet article :

Seguin, Thomas (2007), « Biopolitique », in V. Bourdeau et R. Merrill (dir.), DicoPo, Dictionnaire de théorie politique.

http://www.dicopo.org/spip.php ?article49

Date de publication :  non spécifiée
Dernière modification substantielle :  Mardi le 19 juin 2007 à 16:50
Dernière modification :  Lundi le 2 juillet 2007 à 04:26

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